INTERVIEW DE MICHELE CHAFIOL :
Michèle Chafiol a répondu à nos questions : elle a la double profession d’orthophoniste et de professeur spécialisé pour déficients auditifs.
Maintenant à la retraite, elle a travaillé pendant 42 ans auprès de personnes malentendantes et nous partage ainsi son expérience de thérapeute.
Dans quel type d’établissement et auprès de quels patients travailliez-vous ?
Je travaillais à Montpellier, dans un établissement pour enfants sourds et malentendants, le Centre d’Education Spécialisé pour Déficients Auditifs (CESDA).
J’y ai d’abord travaillé pendant 10 ans, puis, durant 3 ans, j’ai choisi de ne garder qu’un mi-temps pour pouvoir suivre en parallèle une formation d’orthophoniste. J’ai ensuite travaillé à mi-temps en tant qu’orthophoniste libérale, en gardant toujours mon poste au CESDA, pendant 4 ans. J’ai enfin décidé de revenir à plein temps dans l’établissement du CESDA. Ce centre accueillait et accueille toujours des enfants sourds profonds et malentendants, de 3 à 20 ans, et depuis quelques années, il accueille aussi des enfants entendants présentant un trouble spécifique du langage oral.
Les patients étaient-ils sourds de naissance, ou suite à un accident ou une maladie ?
Sont accueillis au CESDA des enfants sourds de naissance, y compris des enfants devenus sourds avant l’acquisition de la parole.
Quels étaient les buts de la rééducation, et quels moyens utilisiez-vous ?
Les enfants sourds étant privés de toute information sonore, ils ne peuvent reproduire, comme les autres enfants, ce qu’ils ont entendu. L’acquisition de la parole et du langage leur est donc extrêmement difficile, et ne peut se faire naturellement. Le but de la rééducation sera donc de leur donner une communication avec les autres, et donc le moyen de parler.
On ne parle plus aujourd’hui de muets, car le terme est inadéquat, mais de patients présentant une pathologie du langage.
Les enfants sourds présentent une pathologie du langage oral et les thérapeutes vont leur donner des moyens de s’exprimer, de parler, d’utiliser leur voix, qu’ils n’entendent pas.
De plus, leur façon de penser est tout à fait particulière : au lieu de penser par des mots comme les enfants entendants, ils pensent en images. Formuler des phrases est donc vraiment difficile car ils n’ont pas idée de la signification de tous les mots courants qui ne peuvent être représentés en images.
Une autre difficulté de l’enfant sourd est la compréhension et l’utilisation des temps : il parle le plus souvent au présent et distingue mal les différents temps de la langue française.
L’orthophoniste devra donc lui faire acquérir d’une part l’articulation des sons et des mots, et d’autre part, le sens des mots, puis la formulation correcte d’une phrase.
Les enfants pris en charge étaient-ils en relation avec des enfants entendants ?
Oui, depuis plusieurs années, les enfants sourds sont intégrés dans des classes normales. A une période, ils étaient seuls au milieu d’une classe d’élèves entendants, ce qui pouvait être difficile pour eux. Aujourd’hui on essaie plutôt de mettre au moins deux enfants malentendants ensemble dans une même classe pour qu’ils se sentent moins isolés.
Leur emploi du temps est organisé de sorte qu’ils puissent être pris en charge, sur certaines heures de cours, individuellement, par des professeurs spécialisés dans ce handicap, pour reprendre des cours ou notions qui auraient été mal compris.
Certains vont ensuite s’orienter vers des métiers plutôt manuels qui nécessitent moins d’études théoriques, et donc moins d’efforts de communication pour eux ; d’autres vont continuer au lycée, vers le Baccalauréat, et leur lycée se fait alors en 4 ans au lieu de 3.
Quels outils de langage utilisiez-vous pour travailler avec les enfants sourds ?
Le premier moyen de communication pour eux est la lecture labiale, très importante pour comprendre l’interlocuteur. Cette lecture sur les lèvres, est bien améliorée par l’utilisation du Langage Parlé Complété (LPC), qui est un code technique, qui traduit les sons articulés, par des gestes, pour éviter de confondre, par exemple, deux sons dont l’articulation est identique (sosies labiaux).
On peut également utiliser la langue des signes, qui est véritablement une langue, et non un code comme le LPC. A une époque, nous avions interdiction d’utiliser la Langue des Signes en rééducation, puis elle a progressivement été acceptée (dans les années 80-90) jusqu’à être officiellement reconnue en 2005.
Pour ma part j’utilisais surtout le LPC en complément de la lecture labiale.
En rééducation, les codes visuels (images, photos ou dessins) sont d’une grande utilité et aident vraiment à la communication.
Les enfants déficients auditifs sont-ils tous appareillés ?
Oui, généralement, un enfant sourd ou malentendant est appareillé. Sans appareil, un enfant sourd entend quand même quelques fréquences, qui le plus souvent ne sont pas les fréquences de la parole. L’appareil va donc amplifier les sons, ce qui est très précieux. Ces appareils sont vraiment pensés et fabriqués sur mesure pour chaque personne selon sa déficience.
Un immense progrès a été fait avec les implants cochléaires (qui ne sont pas toujours possibles car il existe certaines conditions).
Les appareils sont de plus en plus performants et miniaturisés.
A quelles difficultés peut-on être confronté lorsque l’on travaille avec les déficients auditifs ?
A la lenteur des progrès surtout au début des prises en charge par rapport aux souhaits des parents. Un sourd appareillé ne sera jamais un entendant. Il faut savoir expliquer aux parents, répéter , prendre le temps, recommencer, redire, reprendre, etc …des paliers sont à franchir, et l’évolution d’un enfant n’est jamais comparable avec celle d’un autre. Chacun est unique dans ses déficits et dans ses compétences, chacun évolue à son rythme. Certains n’arriveront jamais à bien parler mais ont d’autres atouts. Les objectifs à avoir dans ce travail ne sont pas seulement scolaires mais surtout d’amener ces enfants déficients auditifs à avoir une place dans la société avec un travail mais surtout avec une adaptabilité et un esprit d’ouverture (qui leur fait défaut) plus que nécessaire malgré leur handicap.
Les échecs viennent souvent des comparaisons qu’on fait (et qu’il ne faut pas faire !), de la rigidité des déficients auditifs qu’il faut combattre, de leur manque d’appétit scolaire (mais compréhensible face aux difficultés qu’ils rencontrent), de leur non combativité pour certains, de leur comportement difficile en général si on veut à tout prix les considérer comme des entendants et faire comme pour ces derniers. Il faut savoir utiliser tous les moyens de communication (Langue des Signes et ou LPC, oral, écrit, mime, dessin, BD, cinéma etc…)
Certains échecs viennent aussi d’une orientation professionnelle trop tardive, cela venant aussi d’un accompagnement familial parfois mal conduit.
Par quels spécialistes les patients étaient-ils suivis ?
Du côté médical : médecin généraliste, médecin ORL, audioprothésiste, ergothérapeute, kinésithérapeute, psycho- motricienne, psychologue, pédo-psychiatre, orthophoniste.
Du côté enseignant : professeurs spécialisés pour déficients auditifs (qui ont une formation spécifique pour enseigner à de jeunes sourds).
Du côté éducatif : éducateurs (ou éducateurs spécialisés) si les enfants sont internes.